Capitale du chaos

Portland, Oregon, la tradition du western en décor naturel

Alors que des émeutes s'y poursuivent sporadiquement, la ville voudrait bien avoir sa part de la renaissance du tourisme post-Covid

Portland, Oregon, la tradition du western en décor nature Photo par Zack Spear, Unsplash

Biden power, Anne Toulouse

À Portland, la semaine dernière, le thermomètre est monté jusqu’à 116° fahrenheit, soit 46° Celsius ? Ce n’est pas le record absolu du fameux dôme de chaleur qui a emprisonné la côte nord-ouest de l’Amérique – plus au nord la ville canadienne de Lytton a atteint près de 50°. Mais Portland a ainsi connu son deuxième été chaud : le précédent, celui de 2020, l’était symboliquement. À cette époque, l’année dernière, la plus grande ville de l’Oregon entrait dans son troisième mois d’émeutes. Cela avait commencé le 28 mai, après la mort à Minneapolis de George Floyd, devenu le symbole de brutalités policière visant la communauté noire.

“En alimentant régulièrement l’actualité avec des images d’incendie et de pillage, Portland apparaît comme la capitale du chaos”

Mais alors que dans les autres villes américaines, les manifestations et les violences se sont rapidement éteintes, à Portland, des groupes d’extrémistes continuent encore actuellement à s’affronter sporadiquement dans un centre-ville qui a subi des millions de dollars de dégâts, visant essentiellement des petits commerces, mais aussi des bâtiments officiels comme le palais de justice. En alimentant régulièrement l’actualité avec des images d’incendie et de pillage, Portland apparaît comme la capitale du chaos.

Attraction des extrêmes

Pourtant, dans la période pré-George Floyd et pré-Covid, l’Oregon était devenu la destination touristique à la mode et sa plus grande ville avait la réputation d’un endroit “cool” ou l’on venait écouter de la musique Heavy Metal, flâner dans les innombrables bars ou se perdre dans les dédales de Powell’s, la plus grande librairie indépendante du monde, qui propose plus d’un million de livres neufs ou usagés, dans un dédale de petites salles réparties sur tout un pâté de maisons. L’histoire de Portland est inscrite dans son nom, puisque c’est un port à l’intérieur des terres, relié à l’océan par la Columbia River, celle-là même qui a mené l’expédition Lewis et Clarke jusqu’au Pacifique. Le trajet d’une centaine de kilomètres vers la côte est d’une beauté sidérante. Il traverse les forêts de pins, tellement hauts qu’ils ont frappé d’effroi les premiers pionniers, avant de s’ouvrir sur des plages ponctuées de rochers géants. L’Oregon est magnifique, mais sa beauté se mérite car ses plus beaux sites sont au milieu de nulle part et au bout d’interminables heures de route. Hormis la région viticole, qui produit les meilleurs pinots noirs des États-Unis, c’est un territoire sauvage qui a toujours attiré les extrêmes.

“Dans la période pré-George Floyd et pré-Covid, l’Oregon était devenu la destination touristique à la mode et sa plus grande ville avait la réputation d’un endroit “cool”

Portland était le terminus de “l’Oregon Trail”, la piste la plus audacieuse des pionniers, qui en ont fait l’un des hauts lieux du Wild West. On disait à l’époque que c’était la ville la plus dangereuse du pays, ce qui n’était pas rien. Davantage que ses deux voisins, la Californie et l’État de Washington, l’Oregon a gardé son caractère de dernière frontière. Ses vastes étendues ont attiré des groupes anarchistes d’extrême droite, l’un d’eux a tenu tête à la police pendant des mois après avoir occupé un parc naturel qui porte le nom prédestiné de “Malheur”. Eugene, la deuxième plus grande ville de l’État, abrite une université où semble converger toute la jeunesse contestataire du pays. On pourrait croire que son campus offre un diplôme en manifestation musclée, mais il génère aussi de la créativité, l’un de ses étudiants y a créé la marque Nike, l’entreprise la plus politiquement engagée du pays. On imagine combien ce cocktail est explosif lorsqu’il fusionne dans les rues de Portland, où il est accueilli par une police à la main lourde. Les Prouds Boys (anarchistes de droite) et les Antifas (anarchiste de gauche) y ont rejoint Black Lives Matter (défense de la communauté noire) dans des affrontements qui ont totalement dépassé ceux contre lesquels ils sont censés s’opposer.

“Ici, tout peut arriver”

Alors que le reste du pays baigne dans une euphorie post-Covid, Portland voudrait bien avoir sa part de la renaissance du tourisme. L’office du tourisme, Travel Portland, vient d’acheter une page de publicité dans les journaux les plus influents, ‘New York Times’, ‘Los Angeles Times’ ou ‘San Francisco Chronicle’. Son argumentaire, sous une forme incantatoire, est suffisamment obscur pour que les visiteurs éventuels passent à côté d’une série de professions de foi qui affirment : “nous sommes pour la dualité, pas la polarité” et surtout “ici tout peut arriver”, exactement ce qui incite les vacanciers à y réfléchir à deux fois.

“Portland a toujours attiré les audacieux, ceux qui sont à la recherche de cette Amérique mythique où les bons affrontent les méchants dans des rôles interchangeables et où l’on dévaste allégrement le saloon”

Portland a toujours attiré les audacieux, ceux qui sont à la recherche de cette Amérique mythique où les bons affrontent les méchants dans des rôles interchangeables et où l’on dévaste allégrement le saloon. On peut dire qu’elle a su entretenir la tradition du Western en décor naturel !

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