Travail nomade

L’Europe, continent de rêve pour les nomades numériques

On y trouve une grande variété de climats, un bon WiFi, du café et des pays accueillants

Travail nomade - L’Europe, continent de rêve pour les nomades numériques ©Freepik

Après des mois d’enfermement dans un Berlin gris, Chris Bloom, coach personnel et blogueur, a planifié son évasion. Risquant l’ire de followers Instagram jaloux, il a passé un test covid-19, s’est envolé pour Lisbonne et s’est installé dans l'espace de coworking et d’habitat partagé Outsite, une agréable propriété carrelée de bleu et de blanc, avec l’essentiel : une connexion internet stable et un café.

Travailleurs nomades addicts au voyage

M. Bloom fait partie d’une population croissante de nomades numériques en Europe, qui travaillent à distance tout en satisfaisant leur soif de voyage. Ce type de vie itinérante est aussi vieux que les ordinateurs portables et l’Internet gratuit. Mais la Covid-19 lui a donné un coup de fouet. Un jeu d’arbitrage entre les lieux de confinement a commencé au début de l’année, lorsque les contrôles aux frontières ont été assouplis et que les gens ont fui des villes encombrées comme Berlin et Londres. Certains se sont dirigés vers d’autres villes, comme Lisbonne et Madrid, qui offraient du soleil et des règles sanitaires plus souples.

D’autres ont choisi des endroits reculés sur la Méditerranée et dans les Alpes. Aujourd’hui, les restrictions liées à la Covid-19 s’assouplissent, mais la tendance se poursuit, car de nombreux Européens rejettent la routine du bureau traditionnel après un an et demi de travail à distance. Comme le dit Yoon-Joo Jee, un entrepreneur qui a passé la pandémie entre Séoul, Genève et Lisbonne : “il y a une addiction à bouger et à explorer de nouveaux endroits”.

“Les gens ont fui des villes encombrées comme Berlin et Londres. Certains se sont dirigés vers d’autres villes, comme Lisbonne et Madrid, qui offraient du soleil et des règles sanitaires plus souples”

L’Amérique dispose des meilleures données sur l’essor des nouveaux nomades. Elle comptait 10,9 millions d’errants numériques l’année dernière, contre 7,3 millions en 2019. Les universitaires affirment qu’un phénomène similaire est en cours en Europe, qui offre également une échelle continentale et une absence de frontières intérieures, du moins dans l’espace Schengen. Les Européens qui ont envie de changer d’air peuvent se déplacer librement d’Helsinki à Séville. Pendant la pandémie, les recherches Google sur le terme “nomade numérique” ont atteint des sommets historiques en France, et ont également progressé en Espagne et en Allemagne. Et les destinations à explorer ne manquent pas. Huit des dix premiers pays pour les nomades se trouvent en Europe, selon le Digital Nomad Index compilé par Circleloop, une entreprise de télécommunications, qui classe les destinations en fonction du coût des loyers et de la connectivité internet, entre autres facteurs.

Plus qu’un effet de mode

Ce mode de vie nomade est susceptible de survivre à la pandémie. La Covid-19 a entraîné de grands changements dans la façon dont les gens travaillent, dont certains pourraient devenir permanents. De nombreux employeurs mettent en place des politiques de travail flexible, de sorte que les indépendants et les entrepreneurs ne sont plus les seuls à travailler sur la plage. Un tiers des travailleurs français et allemands opéreront à distance en 2022, prévoit le cabinet d’études Gartner, contre respectivement 22 % et 27 % en 2019. Dans une enquête récente, 80 % des employés envisageant de nouvelles fonctions ont déclaré que la possibilité de vivre ailleurs était importante pour eux. “Je ne pense pas qu’être un nomade numérique soit simplement une mode à ce stade”, déclare Mohammad Jarrahi, professeur à l’Université de Caroline du Nord à Chapel Hill. “Il y a des changements fondamentaux dans les fondements du travail.”

“80 % des employés envisageant de nouvelles fonctions ont déclaré que la possibilité de vivre ailleurs était importante pour eux”

Le plus grand obstacle au style de vie nomade est la paperasserie. Le calcul de la facture fiscale, par exemple, est complexe pour quiconque passe d’une juridiction à l’autre. Mais de nouvelles entreprises tentent de les aider. Pendant la pandémie, John Lee a créé Work From Anywhere Team, une place de marché pour les conseillers fiscaux du monde entier. Il fait valoir que les nomades comme lui ont besoin d’un “Amazon du conseil fiscal”. La pandémie a fait prendre conscience, selon Michael Huertas, du cabinet d’expertise comptable PwC, que “le fait que les impôts soient établis en fonction des frontières nationales est vraiment archaïque”.

Une immigration convoitée

Les lois d’immigration de l’Europe sont généralement hostiles aux non-Européens. Mais certains gouvernements, désireux d’attirer des visiteurs en ces temps économiquement difficiles, ont assoupli les règles pour les nomades numériques. La Croatie et l’Estonie ont introduit des visas de longue durée pour les personnes sans passeport européen qui peuvent prouver qu’elles travaillent en ligne. Au Portugal, le gouvernement régional de Madère est allé plus loin en proposant un espace de travail gratuit, des événements de mise en réseau et un portail en ligne qui regorge d’informations sur des sujets tels que les formalités administratives et les lieux d’hébergement. Depuis sa création en novembre dernier, plus de 9 000 personnes se sont inscrites sur le site Digital Nomads Madeira Islands.

Les avantages économiques qui peuvent découler de l’attraction des travailleurs nomades sont clairs. Il s’agit généralement de personnes aisées ayant une grande expérience professionnelle qui peuvent se permettre de travailler depuis n’importe où. Il est peu probable qu’ils braconnent les emplois locaux, mais ils dépensent de l’argent. À Madère, le gouvernement estime que le nomade numérique moyen dépense 1 800 euros (2 100 dollars) par mois. Hannah Brown, qui travaille pour le programme de résidence en ligne de l’Estonie, estime que le nouveau visa présente l’avantage supplémentaire de faire connaître ce petit pays périphérique.

“Les travailleurs nomades sont généralement des personnes aisées ayant une grande expérience professionnelle qui peuvent se permettre de travailler depuis n’importe où. Il est peu probable qu’ils braconnent les emplois locaux, mais ils dépensent de l’argent.”

Certains habitants, cependant, n’apprécient pas la présence de nomades parmi eux. Comme l’ont constaté les hotspots nomades de longue date comme Goa et Bali, les étrangers bien payés peuvent faire grimper le prix de l’immobilier. Certains vivent dans une bulle, n’ayant pas grand-chose à voir avec les locaux, à part ceux qui leur servent des cafés lattes glacés. Les tensions peuvent aller dans les deux sens. Certains travailleurs itinérants n’aiment pas être appelés “nomades”, craignant que cela ne les fasse paraître sans racines. Ils peuvent s’opposer encore plus à une nouvelle étiquette qui gagne du terrain. Comme beaucoup de nomades sont des hommes, célibataires et aimant faire la fête, les cyniques ont commencé à les appeler “bro-mads” [jeu de mots évoquant des hommes qui voyagent de ville en ville en essayant de trouver des fêtes où s’incruster et des femmes avec qui avoir des relations sexuelles, ndt] ou même “digital gonads”.

The Economist

© 2021 The Economist Newspaper Limited. All rights reserved. Source The Economist, traduction Le nouvel Economiste, publié sous licence. L’article en version originale : www.economist.com.

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