par Jean-Michel Lamy
“Dernière chance”, disent-ils tous. La certitude est là : sans redressement du modèle productif, le contrat social ne tiendra plus la route. “Un pays riche”, énonce l’aile gauche des candidats à l’Élysée pour justifier une distribution corporatiste. “Grand déclassement”, répond la droite extrême, qui mise sur le civilisationnel pour rétablir les comptes. “Immobilisme du en même temps”, dénonce la droite LR pour, a contrario, s’afficher dynamique. “Trahison sur le bas-carbone”, déplore l’écologie d’opposition, batterie de capteurs en bandoulière.
A chacun ses vieilles solutions
À les entendre, que veulent-ils ? “Tout.” Qu’a été jusqu’à présent dans l’ordre politique le quinquennat Macron ? “Rien.” Que demande le peuple, pardon le tiers état ? “À être quelque chose.” Toute ressemblance avec le brûlot de Sieyès, publié en janvier 1789, serait bien sûr fortuite. Même si la copie d’aujourd’hui exprime un mélange d’exaspération démocratique, de politisation à outrance des invariants économiques, d’espoir aussi dans une sortie par le haut de la nasse qui enferme les forces vives du pays.
Qui pour poser sur la table un peu de tangible libérant les énergies enfermées dans un entrelacs d’un autre siècle ? La charrue élyséenne trace un sillon qui converge vers un modèle de production du XXIe siècle, imbriquant souveraineté nationale et européenne. C’est la martingale “seconde chance” que le chef de l’État essaie de déployer. Elle a son côté vintage avec la thématique des grands projets et sa dépense publique qui reste à maîtriser.
“Qui pour poser sur la table un peu de tangible libérant les énergies enfermées dans un entrelacs d’un autre siècle ?”
Eux, les concurrents à la présidentielle, échappent à l’écueil d’un passé immédiat en responsabilité. Pour autant, ils s’ébrouent aussi dans la répétition de déclamations antérieures. Dans ce rôle, Jean-Luc Mélenchon (LFI) est imbattable puisque son programme d’il y a cinq ans s’appelait déjà “L’avenir en commun”. Fabien Roussel (PCF) est en conflit permanent avec les dividendes du CAC 40, comme son mentor des années 80 Georges Marchais. Yannick Jadot (EELV) perd pied en intériorisant un logiciel d’interdits hérité de doctrines qui s’appliquent jusqu’à la chasse au foie gras. Anne Hidalgo (PS) est engoncée dans une social-démocratie façon XXe siècle. Valérie Pécresse (LR) recycle du “Fillon 2017”. Marine Le Pen (RN) recalcule au centime près les économies à attendre d’un contrôle drastique de l’immigration et de l’arrêt de certaines prestations. Quant à Éric Zemmour, il réécrit la grande histoire pour mieux sauter la case des défis présents.
La croissance, l’emploi et le pouvoir d’achat
Comme pour chaque consultation, l’électeur calera son bulletin “plein de ressenti” sur les trois mois qui précèdent le scrutin. Dans cette perspective la ‘Note de conjoncture de l’Insee’ de décembre est une sorte d’audit de fin de quinquennat. “Reprise sous contraintes”, est-il diagnostiqué. Après un PIB en rebond de 6,7 % en 2021, l’Institut table à mi-année 2022 sur 3 %. Il faudra attendre le printemps pour un PIB “à 1,4 % au-dessus du niveau d’avant crise”. La normalisation est en marche vers un potentiel de croissance de l’ordre de 1,1 % à 1,2 %. Un rythme notoirement insuffisant pour réduire le niveau d’endettement.
“La normalisation est en marche vers un potentiel de croissance de l’ordre de 1,1 % à 1,2 %. Un rythme notoirement insuffisant pour réduire le niveau d’endettement”
De tous les indicateurs fournis par l’Insee, le vif rebond de l’emploi salarié signe la réussite du bilan Macron. “Il augmenterait d’un peu plus de 150 000 au second semestre 2021, puis de 80 000 créations nettes au premier semestre 2022”, relève l’Insee, qui pronostique un taux de chômage descendant à 7,6 % en juin prochain. “La bonne nouvelle, c’est que le nombre de Français qui ont un travail n’a jamais été aussi élevé depuis 1975”, souligne Élisabeth Borne, ministre du Travail.
En revanche, malgré des salaires nominaux relativement dynamiques, le pouvoir d’achat par unité de consommation serait en recul de 0,5 % au 30 juin. Résultat du recul mécanique, comme par contrecoup, d’une “indemnité inflation” incorporée selon le protocole statistique au calcul du quatrième trimestre 2021. Gageons que le gouvernement n’imaginait pas l’affichage d’un tel contrecoup au moment de la présidentielle ! La facture hausse des prix, de l’ordre de 2,5% au premier semestre 2022, alourdit le panier de la ménagère.
L’extrême fragilité de l’économie française
Cet épisode n’est jamais qu’une illustration de l’extrême fragilité de l’économie française. Il n’y a plus de capacité naturelle d’absorption de l’inflation importée via les prix de l’énergie. Le haut-commissaire au Plan, François Bayrou, s’efforce de remettre dans le circuit de l’opinion publique la conscience de cette déconvenue sur les échanges extérieurs. La moindre reprise gonfle le déficit commercial.
“Sans le bouclier de la BCE qui repousse sans cesse les oukases virtuels du FMI, la Banque de France serait comme en 1982 obligée de dévaluer le franc et le gouvernement de bloquer les salaires”
“Nous avons abandonné sans raison les exportations industrielles”, se désole-t-il. Sans le bouclier de la BCE qui repousse sans cesse les oukases virtuels du FMI, la Banque de France serait comme en 1982 obligée de dévaluer le franc et le gouvernement de bloquer les salaires. Tous les jongleurs de feu avec les institutions bruxelloises devraient le savoir.
Cela n’empêche pas Bercy de continuer sur la lancée du quoi qu’il en coûte en annonçant des aides en direction des entreprises contre les pénuries, et en direction des ménages contre l’envolée du prix de l’énergie. L’État-protecteur mue en État-brancardier pour une poignée de milliards d’euros de plus.
La recherche de PIB supplémentaire
Devant la Fondation Robert-Schuman, ce 13 décembre, le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, cherchait à rassurer sur la façon de surmonter la montagne de dettes, estimée à 115 % du PIB et à 113 % l’an prochain. Sa méthode antistress s’appuie sur trois ingrédients : une durée de dix ans, une expansion plus forte allant vers les 2 %, une meilleure efficacité de la dépense publique.
La leçon du gouverneur est claire. La France a un besoin absolu de récupérer du PIB supplémentaire sous peine de devenir insolvable. Personne ne peut garantir que le prix de l’argent restera indéfiniment à zéro ! Aussi exhorte-t-il les décideurs politiques à tout mettre en œuvre pour que le pays aligne davantage “d’offre de travail disponible”. En agrégeant tous les remèdes possibles – apprentissage, réforme de l’assurance chômage, revalorisation des salaires, date de départ en retraite, excellence en mathématiques.
“La leçon du gouverneur est claire. La France a un besoin absolu de récupérer du PIB supplémentaire sous peine de devenir insolvable. Personne ne peut garantir que le prix de l’argent restera indéfiniment à zéro !”
La Macronie s’inscrit dans ces préconisations en dépit de la reculade sur les retraites. Le rétablissement en cours est le fruit d’une synergie autour de mesures comme la taxation du capital ramenée à un taux proche de la moyenne européenne, ou comme la diminution de 20 milliards d’euros sur deux ans des impôts de production. Tout cela irrigue une politique pro-business appuyée par la finance publique. Agnès Pannier-Runacher, la ministre de l’Industrie, a recensé en douze mois quelque 620 relocalisations. Un résultat modeste en effectif mais à forte teneur symbolique.
Un nouveau modèle de croissance européen
Pour embrayer sur un élan porteur pour le rendez-vous électoral d’avril, Emmanuel Macron mise sur plusieurs lignes de force. D’abord la construction de filières industrielle fortes et intégrées au niveau européen : l’hydrogène, les batteries, l’espace, les semi-conducteurs, le cloud, la défense, la santé, la culture. Il s’agit ensuite d’assurer la connexion avec l’ambition climatique symbolisée par la taxe carbone aux frontières, de transformer l’Europe en une puissance numérique, de fournir des emplois de qualité. Dès le 10 et 11 mars, Paris va réunir les Vingt-Sept en sommet pour, selon l’Élysée, “imaginer un nouveau modèle européen de croissance qui est un modèle de production, de solidarité et de régulation”.
“Emmanuel Macron mise sur la construction de filières industrielle fortes et intégrées au niveau européen : l’hydrogène, les batteries, l’espace, les semi-conducteurs, le cloud, la défense, la santé, la culture”
Reste la question de la faisabilité. Là encore, les clefs sont européennes. Le gouverneur de la Banque de France plaide pour une Union bancaire, la clef pour diffuser l’épargne dans toute l’UE, et une Union des marchés des capitaux, la clef pour que les fonds de capital-risque investissent sur l’ensemble du territoire européen. Sans la levée de ces deux verrous – bloqués par les États pour raison politique – les immenses financements nécessaires à une décarbonation compétitive manqueront à l’appel. S’en remettre au seul desserrement du cadre budgétaire national imposé par Maastricht ne serait qu’illusion. La France l’entretient depuis trop longtemps.